En canoë jusqu’à Concordia

Issac and Max Finkelstein (Photo: Julie Oliver, Ottawa Citizen)

Par Isaac et Max Finkelstein

Mon père dit que tout ce qu’il a appris, il l’a appris de la rivière (et de nos mères).

Quand il a été temps pour moi de retourner à l’école après un été passé à guider des radeaux sur la rivière des Outaouais, il semblait logique de suivre cette même rivière de notre demeure à Ottawa jusqu’à l’Université Concordia à Montréal. Lorsque mes parents sont venus me visiter à mon travail d’été (ils sont venus me rejoindre en pagayant depuis leur maison à Ottawa), une idée folle m’est passée par la tête.

« Tu sais quoi papa? On devrait pagayer pour retourner à l’école. »

Il a répondu : « Pourquoi pas? C’est en ligne droite sur la rivière des Outaouais, puis on tourne à gauche sur le canal Lachine. »

« … et si on s’arrête au marché Atwater, je ne suis qu’à quelques kilomètres de mon appartement! »

« Parfait! On peut amener les roues de canoë et faire un trajet de chez nous à chez vous. C’est environ 200 km… nous devrions pouvoir y arriver avec deux nuits de camping. »

Jour 1

Nous voilà donc, quelques semaines plus tard, sur le trajet. Nous sommes partis de notre maison à Ottawa en joggant dans la rue, notre fidèle canoë arrimé sur un jeu de roues. Il y a environ 1 kilomètre de notre maison à la plage de Westboro (un de fait, il en reste 199).

Et nous voilà partis. En route.

Pagayer sur la rivière des Outaouais en traversant la ville est un superbe trajet. Nous nous faufilons dans les rapides sous le pont Champlain, glissons sur les sections peu profondes après les sculptures de pierre dans les rapides Remic, louvoyons à travers les îles rocheuses au-dessus du barrage de la rivière Chaudière juste avant de croiser notre prochain obstacle, le barrage. Nous mettons pied à terre près du Musée canadien de la guerre, le canoë est de retour sur ses roues, et nous continuons en joggant sur la piste cyclable (non sans recevoir quelques regards ébahis des cyclistes) jusqu’au débarcadère de Richmond, au pied de l’édifice de la Cour suprême au centre-ville d’Ottawa. Nous retournons ensuite à l’eau, sans portage en vue jusqu’aux écluses du canal de Carillon à environ 130 km de là.

Nous pagayons sous les édifices du Parlement et dépassons les chutes Rideau, puis rapidement, la ville disparaît derrière nous. La rivière des Outaouais n’est pas sauvage, mais elle est très vivante. Les aigles à tête blanche et les balbuzards planent au-dessus de nous. La rive du Québec est bordée de vastes étendues de quenouilles et de carex, les îles sont recouvertes de micocoules et d’érables argentés. Nous ne pouvons qu’imaginer ce qui rôde sous l’eau.

Nous campons près d’une aire de mise à l’eau près de la petite ville de Wendover, sur la berge de la rivière, là où la rivière Nation croise la rivière des Outaouais.

Jour 2

Nous repartons dans la brume matinale, la proue de notre canoë glissant sur les eaux calmes, mais le vent se lève. Nous mettons une voile et nous nous félicitons en passant à toute vitesse devant l’immense hôtel en bois rond à Montebello, au Québec. Le vent et les vagues nous font rapidement enlever notre voile et nous continuons notre trajet sur la rivière des Outaouais.

Un grand delta sablonneux se trouve là où la rivière Rouge croise la rivière des Outaouais. La rivière à cet endroit est parsemée de kite surfeur qui font des aller-retour et bondissent sur les vagues comme des grains de popcorn qui éclatent. Un des surfeurs, joueur, nous voit avancer laborieusement dans les vagues et saute au-dessus de notre canoë. Il saute si haut que nous l’imaginons être poussé par le vent jusqu’à Montréal, mais il retombe gracieusement près des roseaux, se retourne et le voilà reparti. Nous sommes en admiration devant ses prouesses.

Nous atteignons les écluses de canal de Carillon, épuisés et balayés par le vent, vers 18 h. Construites en 1963, elles ont fait monter le niveau de l’eau de 19 mètres, inondant trois séries de rapides et transformant cette section de la rivière en un long lac, venteux et agité pour nous. Nous avons manqué le dernier éclusage et devons porter notre canoë de l’autre côté du barrage. Sous le barrage, les prédateurs se trouvent en abondances : les aigles à tête blanche patrouillent dans le ciel et les autres prédateurs surveillent les eaux. Malgré un moral bas et des vêtements mouillés par les éclaboussures des vagues, la vie semble enfin nous sourire lorsque nous arrivons dans la ville de Carillon et voyons un casse-croûte. Malheureusement pour nous, il a fermé quelques minutes avant notre arrivée et nous devons nous contenter de pâtes au fromage préparées sur notre réchaud de camping.

Jour 3

Troisième matin, nous nous préparons à pousser jusqu’à Montréal, à environ 85 km d’où nous sommes. Le lac des Deux Montagnes, une grande étendue d’eau venteuse, se trouve devant nous. Imaginez la richesse écologique de ce lac avant l’arrivée des colons. C’est encore une zone riche aujourd’hui, avec des prairies de riz sauvage qui s’étendent loin dans le lac. Plusieurs maskinongés bondissent hors de l’eau et les aigles à tête blanche nous surveillent du ciel. Ça doit être terrifiant d’être un petit poisson ici.

La richesse écologique est surpassée par la richesse économique. Des rangées d’immenses manoirs avec de grandes pelouses ont poussé près de l’eau et d’énormes bateaux à moteur nous dépassent. La quantité et la grosseur de chacun augmentent en s’approchant du pont de l’autoroute 40. À cet endroit, le lac devient plus étroit et son eau brune de la rivière des Outaouais change pour celle, turquoise, du fleuve Saint-Laurent. Nous devons traverser le chenal à petits bateaux pour atteindre les écluses de Sainte-Anne-de-Bellevue Est-ce que c’est comme ça qu’une tortue se sent lorsqu’elle traverse une autoroute? Un défilé ininterrompu de bateaux à moteur s’y trouve, créant des vagues sur lesquelles on pourrait faire du surf. Nous voyons un espace dans le trafic et lorsque Papa s’exclame « Go! Go! Go! », nous nous élançons.

Nous pagayons aussi vite que possible, mais un gros canot à moteur nous a en vue, comme un maskinongé qui traque une perche. Incrédules, nous le voyons prendre de la vitesse et se diriger droit vers nous. Il tourne au dernier moment, manquant de peu une collision avec un autre canot à moteur qui arrive en sens inverse! C’est peut-être vrai ce que l’on dit : l’intelligence est inversement proportionnelle à la puissance, pensons-nous en pagayant vers la sécurité qu’offrent les eaux peu profondes près de la berge en direction de l’écluse.

C’est à Sainte-Anne-de-Bellevue que les voyageurs recevaient une dernière bénédiction de l’église avant de partir vers l’intérieur pour des voyages de plusieurs mois au temps de la traite des fourrures. Des rapides peu profonds séparent les eaux de la rivière des Outaouais et du fleuve Saint-Laurent, qui sont maintenant contournés par l’écluse et le canal. Nous décidons de passer par l’écluse et payons le 90 cents pour le droit de passage. Nous sommes entassés avec une dizaine de gros bateaux à moteur. Les portes derrière nous se ferment, celles devant s’ouvrent. Tout le monde (sauf nous) allume son moteur et le défilé se dirige tranquillement vers le canal. Il n’y a pas de baisse du niveau d’eau, pas de courants tourbillonnants dans l’écluse lorsqu’ils enlèvent l’eau. Que se passe-t-il? Puis nous comprenons : nous avons été dupés! Cette année, le niveau d’eau dans le fleuve Saint-Laurent est tellement élevé qu’il n’y a pas de différence entre le fleuve et le lac des Deux Montagnes. Nous aurions pu simplement pagayer.

Le Dernier Droit

Nous sommes à Montréal, mais il nous reste environ 40 km à faire. Nous pagayons le long de la rive du lac Saint-Louis (un simple élargissement du fleuve Saint-Laurent) et vers le canal Lachine. Nous faisons du portage pour contourner deux écluses puis arrivons près d’un restaurant flottant en face du marché Atwater. Nous portons le canoë et notre équipement une dernière fois, manœuvrant maladroitement le canoë dans deux virages à 90 degrés avant de monter péniblement vers la rue. Les clients du restaurant nous regardent avec curiosité. Le canoë de retour sur nos fidèles roues, nous réalisons que nous sommes affamés et nous n’allons pas loin avant d’attacher le canoë à l’extérieur du Green Spot. Nous nous assoyons enfin pour déguster un repas bien mérité avant de traîner le canoë sur les quelques derniers kilomètres jusqu’à mon appartement, arrivant juste à temps pour me préparer pour les cours de demain.

Video: Isaac Finkelstein