Par Jacques Bourbeau
Des eaux pures coulent dans les lits des rivières nichées dans les rochers du Bouclier canadien.
Les eaux impétueuses, écumantes et tourbillonnantes, grondent comme le tonnerre.
La lumière du soleil se reflète sur la rivière comme une pluie de diamants.
Plus bas sur la rivière, un grand héron prend son envol.
Les sensations fortes et l’exaltation de pagayer à bord d’un canoë ou d’un kayak à travers les rapides, plongeant dans les vagues.
Voilà le monde des pagayeurs d’eau vive. Un monde que des milliers de personnes ont pu connaître grâce aux efforts des pionniers Hermann et Christa Kerckhoff.
Nés en Allemagne, Hermann et Christa Kerckhoff ont émigré au Canada en 1960, où leur passion pour l’eau vive est née. En 1964, le couple a rejoint le Ontario Voyageur Kayak Club et ils ont rapidement adopté ce sport; en 1972, Hermann est même retourné en Allemagne pour participer aux Jeux olympiques de Munich en tant qu’athlète de slalom. Cependant, leur contribution envers le sport dépasse de loin leurs accomplissements individuels.
Ils ont constaté qu’un obstacle de taille empêchait plus de gens de profiter de la rivière : il n’y avait aucun endroit qui leur enseignait à pratiquer ce sport en toute sécurité. Apprendre à pagayer était une activité très ponctuelle. Leur solution a été de fonder une école de pagaie où les débutants et les experts pouvaient apprendre la base ou raffiner leur technique. En 1972, ils ont décidé qu’une petite portion de la rivière Madawaska était l’endroit idéal pour leur projet. Ils ont créé le Madawaska Kanu Centre (MKC) selon un modèle d’école de ski en Europe, où les étudiants étaient divisés en plusieurs groupes selon leurs habiletés, et offraient des cours hebdomadaires. À l’aide de leur réseau d’amis athlètes, ils ont invité les champions du monde et les champions olympiques d’Europe et tous ensemble, ils ont conçu un programme d’entraînement qui permettrait aux gens d’acquérir les habiletés nécessaires pour traverser des rapides.
Leur innovation : la mise en place d’un parcours de slalom, non pas pour la compétition, mais pour l’enseignement. Les portes remplaçaient les rochers, permettant aux élèves d’apprendre comment naviguer à travers les obstacles dans une rivière. L’emphase, comme c’est toujours le cas aujourd’hui, était mise sur la technique. Les élèves apprennent comment contrôler leur bateau, comprendre la dynamique d’une rivière et comment utiliser l’eau de façon à ce que la rivière fasse le travail plutôt que le pagayeur. Le programme s’est avéré un tel succès qu’il est fréquent de trouver un pagayeur qui a appris sa technique sur les eaux de la rivière Madawaska. Cependant, tout miser sur le travail ne permet pas de vivre une expérience d’apprentissage positive, les Kerckhoff se sont donc assuré que leurs installations offraient de la bonne nourriture, des options d’hébergement agréables, la camaraderie des nouveaux amis de la rivière et un paysage extérieur spectaculaire, faisant du centre un environnement dans lequel on retrouve le travail et le plaisir à parts égales.
Leur esprit innovateur ne s’arrêtait pas là : l’un des problèmes qu’ils ont rencontrés au lancement du MKC était que les rivières canadiennes sont impétueuses au printemps, mais leurs eaux se calment lors des jours secs de l’été. Heureusement, la section de la rivière Madawaska où ils ont installé leur nouvelle école se trouvait sous un barrage contrôlé par Ontario Hydro.
Christa et Hermann ont posé une simple question : quelle quantité d’eau le barrage doit-il déverser dans une semaine? Et est-ce qu’il était possible de synchroniser le déversement des eaux pour que les pagayeurs puissent profiter des rapides pendant la journée et que le niveau d’eau baisse pendant la nuit? La réponse devait provenir de plusieurs organismes gouvernementaux. En négociant avec les autorités en matière d’énergie et le ministère des Richesses naturelles, les Kerckhoff ont éventuellement réussi à créer un système de gestion des eaux unique qui permettait un déversement des eaux uniforme pour permettre aux pagayeurs de se pratiquer sur la rivière Madawaska.
À ce jour, MKC est reconnu pour son emphase sur la technique, l’apprentissage d’une utilisation efficace de l’eau et un environnement d’apprentissage encourageant. Il paraît que l’on peut reconnaître à l’œil un pagayeur qui a appris sa technique au Madawaska Kanu Centre. Avec le temps, MKC est devenu un milieu bien connu de la communauté d’eau vive internationale.
Le MKC a été l’hôte de plusieurs championnats canadiens avec son parcours de slalom et, en 1984, les Jeux panaméricains ont eu lieu dans le centre, niché au creux de la vallée pittoresque de la Madawaska. L’esprit novateur des Kerckhoff ne s’est pas arrêté avec l’établissement du MKC; ils ont continué. En 1970, Hermann et Christa ont rejoint un groupe de 49 kayakistes qui ont effectué la première descente du Grand Canyon. Plus près de la maison, Hermann et sa fille Claudia ont été les premiers à faire du kayak dans les puissants rapides de la rivière des Outaouais, un voyage qui a ouvert la voie à la prochaine étape de la contribution des Kerckhoff à la communauté d’eau vive. En constatant le potentiel inexploité de la rivière des Outaouais, ils ont vu une occasion de créer une expérience de navigation de plaisance vibrante. En 1981, ils ont lancé OWL Rafting, qui invite les touristes à aller vivre en toute sécurité l’excitation de l’eau vive sur cette rivière de renommée mondiale.
Leurs contributions au canotage sur la rivière des Outaouais comptent également un aspect non commercial bien distinct. Ils ont acheté des propriétés à plusieurs endroits le long de la rivière et les ont rendus accessibles gratuitement pour tous les pagayeurs. Comme la plupart des rives sont privées, les Kerckhoff trouvaient important de s’assurer que la rivière soit accessible à l’ensemble de la communauté.
Une vie bien vécue laisse un héritage puissant. Entre leurs accomplissements personnels, leurs efforts pour enseigner aux autres les habiletés nécessaires pour profiter de nombreuses années de navigation dans les rapides en toute sécurité et leur dévouement à s’assurer que tous ont accès à certaines des plus belles rivières du Canada, les Kerckhoff peuvent être fiers de leurs contributions à la communauté d’eau vive.
Ils ont également laissé un héritage plus personnel. Claudia, leur fille, a suivi les traces d’Hermann en participant à des compétitions de niveau international et en remportant dix championnats canadiens. Claudia et son mari, Dirk, ont repris les rênes d’OWL et du MKC dans les années 80. Aujourd’hui, la troisième génération, les filles de Claudia et Dirk, Stefani et Katrina, sont en voie de poursuivre les opérations de l’entreprise familiale pour les années à venir.